Solo Shows I Expositions Personnelles

The system needs an update

Exposition monographique. 2014

Galerie karima Celestin, Marseille - France

The system needs an update. Installation


The system needs an update

Caroline Hancock

 

     La feuille de papier. La page blanche. Vide ? Voilà le sujet et l'objet de cette nouvelle exposition de l'artiste, Mustapha Sedjal. S'agit-il d'en disposer, ou de la remplir ? Ce matériau n'a rien de nouveau dans son œuvre où le dessin et le bateau plié en origami sont des constantes. Néanmoins cette fois, le percement remplace le trait, et le froissement informe prédomine sur toute représentation. 

Des supports en papier sont poinçonnés minutieusement à l'aiguille pour créer diverses séries de dessins en fragments. Le relief est perceptible sur la surface. Comme des piercings ou des scarifications, une peau est marquée. Des mains sont expressives mais muettes, comme frappées de l'amnésie potentielle qui hante Sedjal.

 

La question de la mémoire et de l'histoire, et des dangers de leur effacement, ont toujours été au cœur de son labeur d'artiste. Le suivi des pointillés et le colmatage d'une absence peuvent-ils conduire à la suture ? Ailleurs, une odalisque partage une page avec un tirailleur sénégalais dans un amalgame de clichés inspirés de Peau Noire, Masques Blancs (1952) de Frantz Fanon dont on citera l'extrait signifiant suivant : « Si le Blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme, que je ne suis pas ce 'Y a bon banania' qu’il persiste à imaginer. »1 

Banania est la marque française de chocolat en poudre dont le packaging et les campagnes publicitaires furent longtemps ancrés dans l'univers colonial. Mustapha Sedjal convoque justement ces persistances et suggère ainsi à quel point il est urgent de revisiter ce « chaos bordélique »2 et de lutter contre les dérives à répétitions3. On pourrait les rapprocher des Collages (2011-2012) de Kader Attia.

 

Le système a besoin d'une mise à jour. The System Needs An Update : ce passage par la langue anglaise dans le titre de l'exposition apparaît comme une possible tactique pour se distancier du poids de l'histoire coloniale de son pays d'origine, l'Algérie. Kateb Yacine décrivait la langue française comme le « butin de guerre » des Algériens.

Mustapha Sedjal se saisit de cette complexité et en souligne les traces. A l'aune des nouvelles élections présidentielles algériennes imminentes, il semble insinuer qu'elles sont une étape parmi d'autres, que les « printemps » sont le début d'un cycle, et que le néocolonialisme n'est que trop présent. Dans sa vidéo Echo datant de 2012, il citait déjà un extrait du film La Bataille d'Alger de 1966 :

 

« Tu sais, Ali, commencer une révolution n'est pas facile, la continuer est plus difficile. La gagner encore plus. Mais ce n'est qu'après notre victoire que commenceront les vrais difficultés. En un mot, il y a encore beaucoup à faire. »

 

 

 

     En témoignage d'un vécu personnel, Mustapha Sedjal a réalisé le 1 er décembre 2012 la performance "Un Seul Héros, le Peuple... mon père". Inspiré par une photographie des graffitis sur les murs de la ville d'Alger prise par Marc Riboud le 2 juillet 1962, Mustapha Sedjal a rejoué et détourné l'inscription de cette phrase peinte en noir d'ordre révolutionnaire dans le cadre de l’exposition Amnesia à la galerie Karima Célestin (où elle est encore visible à ce jour). 

Dans la nouvelle vidéo à dessein... ! (2014), les plans alternent entre une pile de papiers, le froissement même, la consultation attentionnée d'un cahier qui est vide et sa fermeture abrupte. Ces focalisations sur des actions manuelles performées rappellent les œuvres de Bruce Nauman ou, plus récemment, Jimmy Robert par exemple. Le son capte le travail, la cadence, la détermination, le bruit du papier manipulé. 

 

Mustapha Sedjal parle d'une feuille de route et de déroute. La volonté est mise à l'épreuve d'une abstraction en continu. Quand pourra-t-on s'émanciper de la pensée unique quelle qu'elle soit ? 

 

Caroline Hancock

Février 2014

 

 

 

 

 

 

 

 

 Notes

1. Paris, Les Éditions du Seuil, 1952, p. 206-7.

2. Ce terme fut utilisé par l'artiste dans un entretien avec A. Walid, « L'artiste face au chaos social. Vers une esthétique bordélique », 

La Voix de l'Oranie, 30-31 mai 2001. 

3. Des accrochages comme celui de la salle intitulée « Odalisques modernes » dans Modernités Plurielles (2013) au Centre Pompidou à Paris mériteraient sans doute une interrogation profonde.



Plongée Fanonienne

Saadi-Leray Farid

 

   Les années soixante virent se dessiner en Algérie un processus d’appartenance, un mouvement d’identification et de symbolisation débouchant dans le domaine des arts plastiques sur une démarche d’appropriation qui face à la massification des images de la culture impérialiste et de l’idéologie occidentale dominante privilégiait le protectionnisme, voire un repli sur des fondements doctrinaux, sinon dogmatiques. Les avant-corps du "socialisme-spécifique" et d’une culture de résistance affiliée à la "plongée Fanonienne" en oubliaient par là même de déconstruire la mythologie naïve de la réception d’une peinture abstraite censée être d’emblée appréhendée parles Citoyens de Beauté, cela d’une part au nom d’une éthique de communauté, et d’autre part en vertu d’un partage des sentiments, d’une osmose des émotions inhérente à la perspective kantienne.

 

L’approche ouverte depuis octobre 2012 par Mustapha Sedjal est justement de mettre à mal les utopies ou illusions de la société algérienne, d’amorcer un retour sur son Histoire pour décloisonner les postulats du "renouveau dans l’authenticité" et tracer la pluralité des origines, donc d’autres règles du "Je". Après s’être délesté de la rhétorique persuasive concentrée autour du "Peuple-Héros", de la pesanteur des regards et images panthéistes prétendant donner une vision globale et infalsifiable du réel, le voilàen train de croiser les cheminements individuels des icônes militantes et d’entrelacer les parcours de récits intimistes.İl ne s’agit pas chez lui de présentifier un moi perdu, déstructurer et disposer à se fondre dans la totalité maisde positionner des densités d’existence sur l’itinéraire transversal des singularités.

 

Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art

Paris, le 01 janvier 2014

 

 

 

 

 

Frantz FANON

Psychiatre et essayiste

Français Martiniquais.

Né en 1925 à Fort-de-France,

Mort en 1961 à l'âge de 36 ans.

à Bethesda (Etats-Unis).

Enterrée en Algérie.

 



The system needs an update, Exhibition view in Karima Celestin Gallery, Marseille 2014


The system needs an update

 

Les dessins à dessein de Mustapha SEDJAL

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

 

La page blanche ne fait pas peur à Mustapha Sedjal. Le blanc non plus qu’il perfore, froisse, filme dans ses dessins, ses sculptures, ses vidéos, et qui sous-tend son travail plastique attaché « à démonter les mécanismes de l’entre-deux. Mémoire / Histoire-Espace / Temps ». Une couleur symbolique si forte qu’il cite l’écrivain martiniquais Frantz Fanon : « Si le Blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme, que je ne suis pas ce Y’a bon banania qu’il persiste à imaginer »… Mustapha Sedjal, né à Oran et installé en France, expose à la galerie Karima Celestin un ensemble d’œuvres produites in situ en lien avec les espaces. Toutes liées muettement par le blanc, la main, le papier poinçonné qui crée des dessins en fragments. Un origami en trois dimensions aux formes noires et blanches, compactes ou étirées, molles ou rigides qui se répondent ; une série de dessins « chorégraphiques » d’où surgissent des mains qui froissent, dansent, montrent du doigt. Si sensuels que la surface du papier est parcourue de frissons… Une vidéo qui travaille sur la répétition, l’obsessionnel, la délicatesse : le montage de à dessein… ! ressemble à une partition musicale ; des Odalisques modernes à peine esquissées qui nécessitent de ciller des yeux pour les entrapercevoir. Notre être tout entier est tendu vers son œuvre pour écouter sa respiration. Dans cet ensemble cohérent, unitaire, Mustapha Sedjal a glissé la vidéo La maison du peuple comme on brandit un brûlot, noire de fumée, aux antipodes des œuvres immaculées. Après le papier froissé, les livres brûlés. Au début la femme voilée, en épilogue la femme démasquée. Et si l’artiste nous lançait un avertissement : quand on voile un visage, on interdit une parole ?

 

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

 

Zibeline : n° 73. L'actualité culture et société en région PACA, et au delà. Avril 2014

http://www.journalzibeline.fr/critique/les-dessins-a-dessein-de-sedjal/